Quatre jours avant son passage à l’Olympia à Paris pour son unique concert en France, Cassandra Wilson se fera entendre ce jeudi 11 avril dans le Grand Auditorium de la Philharmonie. Contrairement à ce que son nom pourrait suggérer, la chanteuse américaine est incapable de prédire l’avenir mais, au moins, tout le monde croit en son talent. Elle dégage une énergie positive au travers d’une voix forte et souple qui s’adapte à tous les styles, du jazz au bebop en passant par le blues, la country et la pop. Portrait d’une artiste qui ne sait pas se taire, dans tous les sens du terme !
Née en 1955 à Jackson, dans un Etat du Mississippi encore en proie à la ségrégation raciale, Casssandra grandit dans un foyer musical. Son père, Herman Fowlkes Jr., qui joue de la basse et se produit régulièrement dans des groupes de la région, lui fait connaître le jazz. Sa mère, enseignante à l’école primaire, lui transmet son amour de la musique Motown.
Enfant, elle étudie le piano et la clarinette puis la guitare en autodidacte. «Mon père, qui était guitariste, a refusé de me donner des leçons. Il m’a donné une guitare et un livre d’apprentissage. Je venais juste de terminer sept années de piano et il voulait que je développe une relation plus intime avec cet instrument de musique. Ce fut pour moi une réussite. J’apprécie toujours le piano mais mon coeur appartient à tout jamais à la guitare.»
Alors qu’elle étudie la communication à la Jackson State University, Cassandra Fowlkes Jr – Wilson est le nom de son premier mari - commence à se produire dans les cafés et les boîtes de jazz. Elle part s’installer à la Nouvelle-Orléans en 1981 puis tente sa chance à New York une année plus tard. Là, elle collabore bientôt avec le M-Base Collective, un ensemble de jazz qui donne dans l’improvisation et l’expérimental. L’expérience lui est profitable. Bien que le collectif ne soit pas idéal pour une chanteuse, Cassandra s’adapte, explore différentes techniques et apprend à utiliser sa voix comme un véritable instrument de musique. En 1986, la vocaliste (c’est ainsi que Cassandra Wilson aime se définir) collabore avec le groupe avant-gardiste New Air et sort son premier album solo Point of View sur le label allemand JMT. D’autres albums suivront mais ne dépasseront guère le cadre des initiés.
La consécration viendra en 1993 lorsque Cassandra signe avec le célébrissime label Blue Note. Elle sort un ambitieux album de reprises, le bluesy Blue Light 'Til Dawn où elle laisse libre cours à son talent. Même s’il fait figure de classique aujourd’hui, l’album connaît, au moment de sa sortie, un succès d’estime. En 1996, elle remporte un Grammy Award dans la catégorie Best Jazz Vocal Performance avec son album New Moon Daughter. Cet honneur sera le premier d’une longue série.
En 1997, Cassandra prête sa voix au projet musical de Wynton Marsalis Blood in the Fields qui raconte l’histoire de deux esclaves africains aux Etats-Unis et se voit récompensé du Prix Pulitzer. En 1999, elle reçoit le Prix Miles Davis au Festival International de Jazz de Montréal. Un bonheur suprême pour cette inconditionnelle du trompettiste américain (qu’elle n’a jamais rencontré si ce n’est au travers de son album Traveling Miles) : «Miles Davis était un maître. A chaque étape de sa carrière, il a compris que cette musique était un tribut à la muse africaine.» En 2001, elle est nommée meilleure chanteuse (non, vocaliste, on vous dit !) de l’année par le Time Magazine. En 2009, elle est la lauréate d’un deuxième Grammy dans la catégorie Best Jazz Vocal Album pour son CD Loverly. Enfin, en 2011, elle empoche le BET Soul Train Award, qui récompense chaque année les meilleurs artistes afro-américains, pour son avant-dernier album Silver Pony.
Mais Cassandra Wilson est bien plus qu’une chanteuse (pardon, vocaliste !) de jazz. C’est aussi une femme de conviction qui a su prendre des risques comme en février 2012 lorsqu’elle annule son concert au festival d’Holon en Israël parce qu’elle se considère comme «une militante des droits de l’homme qui se doit de répondre à l’appel du boycott d’Israël lancé par les Palestiniens privés de leurs droits civils.» La ségrégation, Cassandra a connu cela durant sa jeunesse et, depuis, elle revendique fièrement ses origines africaines.
Elle est la principale fondatrice du Ojah Media Group, une entreprise destinée principalement à préserver et promouvoir le riche héritage musical de la région du Mississippi. «La Nouvelle-Orléans a une culture très particulière. C’est absolument unique aux Etats-Unis. L’empreinte africaine y est très présente. Quand vous êtes là-bas, vous avez l’impression d’être dans un autre pays. Et les gens disent la même chose à propos du Mississipi. Tous deux ont des liens très forts avec le continent africain, en particulier avec l’Afrique de l’Ouest… C’est pourquoi tous ceux qui sont passionnés par la musique et ses origines viennent dans le Mississippi et à la Nouvelle-Orléans parce que c’est là que la musique est née.»
Pour la petite histoire, Cassandra Wilson s’est remariée en 2000 avec Isaac de Bankolé, un acteur issu de la Côte d’Ivoire (en Afrique de l’Ouest précisément !) et surtout connu pour ses rôles dans les films de Jim Jarmusch.