« L’étiquette classique », entendez «Comment dois-je me comporter lors d’un concert de musique classique», est l’un des sujets préférés de la presse et des blogs spécialisés. Dois-je porter un costume trois pièces ? Ma soirée est-elle perdue si j’arrive en retard ? A quel moment ai-je le droit d’applaudir ? Quand puis-je tousser ? parler ? respirer ?... Cela peut paraître cocasse, mais la plupart des conseils pratiques des salles de concerts classiques vous démontreront que ces questions préoccupent le plus grand nombre.
Et c’est bien normal. La majorité des novices en matière de concerts classiques n’ont pour référence que les concerts télévisés, qui sont généralement des concerts de gala et autres grandes soirées, où le smoking et la robe longue sont d’usage. D’aucuns diraient que cela renforce les préjugés attachés au genre, «musique du troisième âge», «musique de riches»... et je le crois aussi. Mais après tout, on parle bien des soirées de gala, qui, quelles soient classiques où non, demandent toujours une certaine tenue. Les autres concerts ne requièrent rien de tel. Et bon nombre de salles le rappellent heureusement.
Tout ceci n’est que bon sens. S’habiller en robe de bal dans un concert classique «normal» risquerait d’ailleurs de paraître aussi décalée qu’un homme en short, tongs et marcel. De même, les horaires stricts ou les recommandations d’éteindre son portable ne sont qu’une conséquence logique à la configuration des salles et du concert classique en lui-même. Les acoustiques de certaines salles en font d’ailleurs les frais, comme le nouvel Auditorium de Bordeaux, dont l’acoustique est si fine que la salle se doit de recommander à ses spectateurs de limiter au plus possible leurs quintes de toux. Ironie du sort, comme le souligne à juste titre le journaliste de Sud-Ouest, puisque «rien n'éveille plus les démangeaisons que l'interdiction de tousser.» …
Si un petit mémo aux spectateurs d’éteindre son téléphone est toujours des plus utiles (et je suis la première étourdie à remercier vivement les salles qui le font), de là à dresser de véritables rites, tables de lois et étiquettes ultimes du concert classique, à croire que l’échafaud nous attendrait à la sortie pour tout comportement «déplacé», je dis non !
Imaginez par exemple que chaque salle placarde ces règles à leur porte. Bonjour l’ambiance.
De même, cet «Ultimate Guide to Classical Concert Etiquette» effraierait n’importe quel novice :
«Laughing is prohibited.»
«Certain calls such as "Bravo!" or "Brava!" and a standing ovation may also be considered by the audience if they truly liked the performance.»
Et cette «Étiquette du concert» en devient carrément risible :
«Il faut renoncer aux bijoux qui font des cliquetis et pourraient ainsi déranger les voisins.»
«On doit éviter de faire du bruit avec son programme, p. ex. en le pliant, en le roulant, en le frottant avec les doigts.»
«On doit éviter de s'appuyer les genoux sur le dossier du siège devant soi ou de donner des coups sur le dossier ou sous le siège.»
«Il est aussi inconvenant de siffler. […] Une ovation debout en cours de concert ou à la fin de la première partie devrait être considérée comme impertinente.»
Le public n’est d’ailleurs pas le seul à devoir se tenir à carreau. Les musiciens ont eux-mêmes leurs règles d’or, notamment concernant l’habillement. Et ici encore, les esprits étroits m’irritent. La célèbre robe courte d’Yuja Wang (*) n’aurait par exemple pas dû faire parler d’elle plus que le talent de l’artiste, et en tout cas certainement pas faire crier au scandale comme cela s’est passé outre-Atlantique.
D’accord, ses robes sont parfois vraiment très courtes et peut-être pas très pratiques pour une pianiste, mais de là à défrayer la chronique, ridicule ! Coupons la crête de Nigel Kennedy, pendant que nous y sommes !
Je crois au contraire que chiffonner la sempiternelle image de la robe longue ne peut pas faire de mal au genre...
Bref. Mon conseil ? Retenez votre souffle et plongez dans le concert. Oubliez tout ce qui vous entoure, jusqu’à oublier votre être. Laissez-vous bercer par la musique, jusqu’aux dernières notes de l’œuvre, cet instant où la salle encore étourdie par la musique laisse disparaître les derniers accords. La suite viendra d’elle-même.
(*) Yuja Wang passera d’ailleurs à la Philharmonie Luxembourg le 29 avril prochain, et si j’étais vous, je ne tarderais pas à réserver ma place ! Non pas pour la robe que la pianiste portera ce soir là, mais bien pour le talent de cette artiste chinoise que j’aime tout particulièrement...
Le point de vue exprimé par Petite Classique ne reflète pas forcément le point de vue de l'Etablissement public Salles de Concerts Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte