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Orchestre Place de l'Europe | Interview de
Benj min
Schäfer

Eva Klein
 L'Orchestre Place de l'Europe sur la scène du Grand Auditorium

Trois ans après son lancement, comment décririez-vous l’identité de l’orchestre?

Je dirais que nous ne sommes plus aussi timides qu’à nos débuts. Lorsque nous répétons, j’encourage toujours les musiciens à jouer plus librement, à ne pas se cacher derrière leurs partitions et à essayer de déployer un son complet ensemble.
Notre manière de communiquer s’est elle aussi améliorée. Les membres de l’orchestre se détachent beaucoup plus des notes et s’efforcent d’établir un contact avec leurs collègues. Nous touchons là à ce qu’il y a de plus important dans la musique, à savoir créer des connexions et essayer de produire le meilleur son possible sans se cacher. C’est ce qu’on appelle la culture d’orchestre, et sur ce plan-là, les choses évoluent indéniablement dans le bon sens.
Lorsque nous montons sur scène, c’est pour montrer qui nous sommes. L’orchestre prend place et présente ce qu’il a appris. Dans ces moments-là, je constate que les musiciens ont davantage confiance en eux : ils osent plus car ils se connaissent désormais et le son qu’ils produisent est plus large, plus profond. Lors des répétitions, ils donnent tout de suite beaucoup plus – sans doute aussi parce que je le leur demande! (rires)

 

Cette progression sur le plan artistique a-t-elle permis aux musiciens de former une communauté plus soudée?

Tout à fait! L’enjeu d’un ensemble amateur n’est pas seulement de faire de la musique, mais également de nouer des liens, de développer de amitiés. Des personnes qui ne se croiseraient peut-être pas au quotidien s’y rencontrent car, que ce soit en termes d’âges, de professions ou de nationalités, l’Orchestre Place de l’Europe est incroyablement divers. Et, quand on se réjouit de retrouver ses collègues lors des répétitions, on joue forcément mieux!
Le lundi soir, les musiciens arrivent pour répéter directement après huit à dix heures de travail. Pour eux, l’orchestre est une façon de lâcher prise, de « nettoyer » son âme. Ensuite, nous allons souvent manger une pizza ensemble – c’est l’occasion de finir la journée en beauté, tout simplement!

 

Quelles perspectives offre le fait de travailler avec des musiciens amateurs?

Je suis toujours impressionné par l’amour et la passion que ces musiciens mettent dans ce qu’ils font – peut-être même plus encore que les professionnels! Beaucoup de choses que nous tenons pour acquises relèvent pour eux de l’extraordinaire : pouvoir répéter sur la scène du Grand Auditorium, partir jouer un concert à Berlin… Un professionnel y verra sa routine de travail habituelle, un amateur, l’expérience d’une vie!
Les musiciens de l’Orchestre Place de l’Europe savent apprécier ces choses et font montre d’une motivation incroyable. Un feu intérieur les anime!
Il est inspirant de voir ce que les gens peuvent accomplir à force de pratique et d’assiduité, et je suis impressionné du niveau atteint par les musiciens avec seulement une répétition par semaine. Cela tient au fait qu’ils prennent les projets très à cœur.

 

Le projet de collaboration avec l’orchestre amateur du Konzerthaus Berlin signifie-t-il que votre champ d’action se situe désormais à l’échelle européenne, et non plus seulement au Luxembourg?

Après trois ans, nous allons donner notre premier concert à l’étranger et nous avons hâte d’y être! Jouer en dehors du Luxembourg, faire des échanges avec d’autres ensembles amateurs fera sans doute partie de l’avenir de l’orchestre désormais. 
Je pense qu’il est bon d’entreprendre un voyage une fois tous les deux ans, afin de glaner des idées fraîches, de renouveler sa motivation et de se souder. À Berlin, nous allons découvrir une nouvelle salle, une nouvelle atmosphère, travailler avec un nouveau chef… Je pense qu’à l’issue de ce projet, beaucoup rentreront chez eux en se disant que tout cela en valait vraiment la peine. Ces quelques jours loin de leurs familles, ce temps investi, ces efforts consentis : tout cela en valait la peine. Et quelle fierté d’être ensuite fêté et félicité par ses proches!

 

Y a-t-il des œuvres ou des compositeurs particuliers que vous souhaitez aborder dans les saisons à venir?

J’aimerais beaucoup que nous jouions un programme consacré à des compositeurs américains tels Leonard Bernstein et George Gershwin. Nous prévoyons également d’interpréter bientôt une grande œuvre symphonique avec chœur!

 

En tant que directeur musical, sur la base de quels critères déterminez-vous le répertoire de l’orchestre?

Ma mission principale est avant tout d’identifier une grande œuvre pour orchestre symphonique. Une fois cela fait, je suis prêt à tenter des expériences nouvelles, comme nous l’avons fait la saison passée avec Pini di Roma d’Ottorino Resphighi ou encore cette œuvre de Tan Dun qui impliquait des téléphones portables (Passacaglia pour orchestre, CD et téléphones portables, NDLR). Les musiciens ont certes besoin d’un répertoire classique mais, de temps en temps, je trouve également agréable d’oser autre chose. Ces projets ont d’ailleurs pu faire changer d’avis des membres de l’orchestre qui, de prime abord, était plutôt réservés au sujet de la musique contemporaine. Après le concert, certains d’entre eux m’ont même confié qu’ils avaient finalement pris beaucoup du plaisir à interpréter les morceaux en question.
À mon sens, le rôle d’un orchestre amateur est aussi de pousser ses membres à se développer sur le plan du répertoire, à dépasser leurs limites avec des œuvres qui, à première vue, leur paraissent trop difficiles ou les laissent sceptiques. Face à une partition, on peut se dire « je vais m’ennuyer » mais, tant que l’on n’a pas saisi le projet dans sa totalité, il manque quelque chose… 
Lors de notre dernier concert à la Philharmonie, le programme était particulièrement exubérant et audacieux. De retour en coulisses, quelle joie pour moi d’entendre les musiciens me dire : « C’était une aventure incroyable : à refaire! »

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